Pourquoi Mélenchon n’est pas de gauche

 

Trois jours avant la fin d’une campagne électorale souvent confuse et parfois improbable, les électeurs français auraient au moins une certitude. La gauche – la vraie, la pure – est bien là, représentée non seulement par les candidat(e)s du NPA et de Lutte Ouvrière, mais plus sérieusement par Jean-Luc Mélenchon et sa France Insoumise. Après tout, n’est-il pas aujourd’hui en passe d’atteindre le second tour de l’élection présidentielle?

 

Le tribun colérique s’est du coup transformé en petit père tranquille de la Révolution; se démultipliant par hologramme pour parler toujours plus en disant désormais le moins possible sur son programme. Il ne manquerait plus que les électeurs de gauche se penchent sérieusement sur ses idées ! Il pourrait en effet se rendre à l’évidence. Mélenchon s’approprie l’héritage de la gauche pour la noyer dans un projet populiste et nationaliste, dont les classes populaires seraient les premières victimes.

 

Mélenchon a bien sûr capté l’indignation légitime et justifiée de celles et ceux qui pâtissent d’une société par trop inégalitaire; qui ne sentent plus représentés et se disent trahis par une classe politique coupée de leur réalité quotidienne. Désormais rentier de la République, le grand professionnel de la politique qu’est Mélenchon ne s’y est pas trompé ; ses arrières désormais assurés, libre à lui de renverser la table, d’abattre la démocratie parlementaire qui le nourrit encore. Ses multiples retraites garanties, il peut sans crainte appeler à une sixième république dont il refuse de préciser les contours. Mais la logorrhée « dégagiste » de Mélenchon masque mal son silence hypocrite.

 

La question européenne est ici révélatrice. Le voilà désormais qui, contredisant son propre programme, annonce ne pas vouloir sortir de l’Union Européenne et de l’Euro. En dépit, si j’ose dire de ces « pudeurs de gazelle », c’est pourtant bien ce que veut dire la « sortie des traités » qu’il appelle de ses vœux. Il refuse ainsi d’expliquer ce que cela signifierait pour les classes populaires qui seraient pourtant les premières à en subir les conséquences de l’effondrement de l’Euro. Quand les possédants auraient anticipé la crise monétaire et mis leur capital à l’abri, les classes populaires verraient l’inflation exploser et leur pouvoir d’achat s’effondrer. Neuf mois après le référendum britannique, la Livre sterling a déjà perdu 17% de sa valeur face au Dollar américain.

 

Le Brexit n’a pas encore eu lieu, mais le prix des produits de consommation courante ont d’ores et déjà augmenté de 5 à 10%. Quand on finit le mois avec moins de €100 en poche, on connaît le risque des fantaisies radicales de Mélenchon. Son Frexit, comme celui de Le Pen, serait simplement une catastrophe pour les travailleurs et chômeurs français. Le retour du protectionnisme menacerait aussi, et en quelques mois, des centaines de milliers d’emplois directs. La gauche radicale grecque, elle, sait le coût de la sortie des traités voulue par Mélenchon et s’y refuse tout en combattant l’austérité. Car on ne peut être de gauche et organiser l’appauvrissement du pays.

 

Mélenchon lui n’en a cure, car il subordonne le progrès social à un nationalisme qui, seul, explique la haine qu’il voue au projet européen. Si l’Internationale est encore parfois entonnée par ses partisans à la fin de ses meetings, Mélenchon lui préfère désormais la Marseillaise. Quand bien de ses électeurs demeurent sincèrement attachés à un projet d’émancipation sociale, lui se dit désormais « Français avant tout ». Que le tricolore soit le seul oriflamme distribué dans ses réunions publiques en dit long sur un projet plus identitaire que social-démocrate. Il ne manquerait plus que les prolétaires européens s’unissent sous un drapeau commun, rouge ou étoilé !

 

Le contraste est ici frappant entre la grande majorité des Insoumis et leur chef de file. Rares parmi eux sont celles et ceux qui ont renoncé à l’internationalisme, voire à l’idéal européen. Sur les questions intérieures comme internationale, Mélenchon a pourtant rompu avec les principes d’une gauche française longtemps investie dans la construction du droit et des solidarités internationales, du Bureau International du Travail à l’Union Européenne en passant par l’organisation des Nations Unies.

 

C’est à cette aune qu’il faut souligner l’écart entre la rhétorique du Mélenchon en campagne et la réalité de son activité parlementaire. Député européen, il s’est fait le chantre du « chacun chez soi ». Il reprit dans l’hémicycle la rhétorique anti-migratoire de l’extrême-droite, comme le 5 juillet 2016 où il dénonça le « travailleur détaché, qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place ». Benoît Hamon, comme le NPA et de nombreux communistes, ne s’y étaient pas trompés et dénoncèrent à juste titre ce virage nationaliste. Mélenchon parla sans surprise d’un mauvais procès. Comme si celui dont on vante les talents oratoires et la culture historique ne savait plus très bien ce qu’il faisait… Soyons sérieux. Le problème posé par les travailleurs détachés est un problème de contrôle, pas de principe. Il aurait pu demander à la Commission européenne de soutenir les services nationaux d’inspection du travail. Il a préféré dénoncer les immigrés dont je suis et s’approprier à dessein les accents xénophobes de Farage et Le Pen.

 

Exploitant la solidarité traditionnelle des gauches françaises et latino-américaines, Mélenchon se fait le chantre des populismes du sous-continent. Qu’il évoque Simon Bolivar plus souvent que Che Guevara n’est pas un hasard. Le nationalisme est en effet le principal point cardinal de Mélenchon, pour lequel l’anti-américanisme justifierait les atteintes aux droits fondamentaux des latino-américains. Son rapport au régime de Vladimir Poutine témoigne de l’abandon de toute prétention internationaliste. Reprenant la propagande du régime sans y changer une virgule, Mélenchon se pose en soutier de la kleptocratie poutinienne. Que le peuple russe soit aujourd’hui victime du capitalisme le plus brutal ne lui pose guère de problème. Il s’étonna même en 2015 que l’on puisse dénoncer le meurtre de Boris Nemtsov, l’un des principaux opposants au régime. Comme si le libéralisme de la victime pouvait justifier son assassinat…

 

En 2014, Mélenchon n’hésitait pas non plus à condamner la révolution ukrainienne, évoquant à l’unisson avec Poutine et Ianoukovitch, « un pouvoir putschiste aventurier, dans lequel les néonazis ont une influence tout à fait détestable. » La jeunesse ukrainienne qui bravait les coups et les balles de l’oligarchie locale ne trouva jamais grâce à ses yeux. Quand la place Maidan se couvrait de drapeaux européens, symbole de liberté et de l’état de droit pour le peuple ukrainien, Mélenchon rejetait sur son appel à la solidarité européenne. S’accommodant de l’annexion de la Crimée au mépris du droit international, Mélenchon appela même de ses vœux l’effondrement de l’Ukraine et se satisfait de l’invasion du Donbass. Curieusement, cet écologiste de la onzième heure semble ignorer que les forces russes organise l’exploitation mafieuse des ressources naturelles de la région. De telles positions en disent long sur le cynisme de son aventure personnelle. Mélenchon ne voit rien à redire à l’exploitation des peuples russes ou ukrainiens. De même, ne s’inquiète-il pas du massacre des insurgés syriens, mis dans le même sac que Dasht. La gauche défend encore l’universalité des droits humains et des libertés fondamentales. Voilà longtemps que ce n’est plus le combat de Mélenchon.

 

A y regarder de près, tout ça n’est guère surprenant. Les populistes usent et abusent des valeurs de la gauche pour travestir leurs objectifs. Mélenchon se gargarise du mot peuple, mais empêche la convergence des luttes. Fondée sur une démarche intersectionnelle, cette dernière propose de combattre les rapports de domination économique, sexuelle, et culturelle. Mélenchon entend lui écraser les identités individuelles et collectives sous la botte d’un « peuple » dont il serait le seul et unique interprète. En témoigne, le flou des prescriptions constitutionnelles de son programme. Lecteur attentif de Carl Schmitt, ou au moins de ses exégètes contemporains, Mélenchon veut mettre à bas la démocratie représentative et parlementaire. Le pluralisme politique et social doit pour lui se soumettre à une opposition politique entre amis et ennemis. « Nous sommes du peuple et nous méprisons ceux qui veulent être autre chose que du peuple » (Le Monde, 24 janvier 2016) dit-il. Comme si lui seul pouvait accorder ou juger de notre appartenance à la communauté des citoyens ! Car le peuple n’existe plus pour Mélenchon dans sa pluralité politique et sa diversité, il entend réduire la délibération démocratique au simulacre référendaire.

 

Voilà ce qui explique l’abandon progressif des symboles de la gauche radicale (drapeau rouge, Internationale) et ses ouvertures vers l’extrême-droite. Ambigu dans son soutien aux réfugiés, il l’est aussi sur les questions de société comme l’avortement ou le mariage pour tous. En témoigne l’entretien qu’il donna au très réactionnaire Famille Chrétienne au mois de février. « Avec la Manif pour tous, je fais le pari positif du malentendu » affirma-t-il au grand dam des militants LGBT qui, seuls, relevèrent ses propos. Comme s’il ne fallait pas que l’extrême-droite catholique prenne trop au sérieux sa défense des minorités sexuelles. Le furieux rétropédalage qui s’en suivit, comme les efforts pour mettre la polémique sur cloche en disent long sur le risque qu’il y aurait pour notre « révolutionnaire » à laisser cours à sa vision de la société.

 

Ne nous y trompons pas. Le populisme de Mélenchon n’est pas soluble dans la démocratie sociale. Son rejet de l’Europe va à l’encontre des intérêts objectifs des classes populaires. Mélenchon ne partage pas non plus l’attachement de la gauche au pluralisme, à une société ouverte, à l’état de droit. Les libertés fondamentales et les droits de la personne doivent selon lui se soumettre à l’Etat-nation en France, comme en Russie ou en Syrie.

 

On connaît ses accointances avec Patrick Buisson, qu’il préfèrerait aujourd’hui passer sous silence. Féru d’histoire, nous dit-on, comme l’éminence grise du sarkozysme identitaire, il sait pertinemment qu’il a plus en commun avec le Général Boulanger qu’avec Jean Jaurès. De même, maîtrise-t-il parfaitement une rhétorique destinée à attirer vers lui les tenants d’un nationalismes des plus rances. Pourfendeur auto-proclamé des « puissants », Jean-Mélenchon conclua ainsi le débat du 20 mars en affirmant sa volonté de « rendre la France aux Français ».  Nul besoin d’être grand clerc pour se rappeler les heures sombres de notre histoire où « l’oligarchie », « les puissances de l’argent », étaient assimilées à l’anti-France. Ce n’était pas, alors, le discours de la gauche et ça ne l’est pas plus aujourd’hui.

Il est donc grand temps de dénoncer la complaisance naïve dont bénéficie Mélenchon et d’affirmer qu’il n’appartient plus à notre famille politique.

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