Universités: la qualification est un faux problème

L’Université française est en émoi, soulevée d’indignation par la possible suppression de la procédure de qualification aux emplois d’enseignants-chercheurs.

Adopté par le Sénat à l’issue d’une séance nocturne, l’amendement décrié fut proposé par des Sénateurs écologistes et mollement opposé par le Gouvernement ((http://www.senat.fr/amendements/2012-2013/660/Amdt_6.html)). Depuis, les réseaux sociaux se mobilisent, les pétitions se multiplient et les cris d’orfraie se mêlent aux appels à la Révolution ((Pour une compilation des réactions voir http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article6163)). De quoi s’agit-il au juste?

La procédure de qualification est du ressort du Conseil National des Universités (CNU) et permet d’établir la liste des celles et ceux – titulaires pour la plupart d’un doctorat – que l’on considère qualifié(e)s à remplir les fonctions pédagogiques, scientifiques et administratives assignées aux enseignants-chercheurs. ((Décret n°84-431 du 6 juin 1984; Dernière modification : 1 septembre 2009. Notons que les candidats étrangers ou en poste dans des institutions étrangères, disposant de diplômes et d’une expérience équivalente, sont dispensés d’en passer par là.))

Pour les défenseurs du CNU et de la qualification, cette procédure serait une garantie contre le clientélisme et le localisme qui caractérisent trop souvent les recrutements universitaires. Les sections du CNU seraient seules à même de livrer une évaluation collégiale et rigoureuse des dossiers de candidatures.

En outre, quelques collègues craignent manifestement que les comités de sélection se trouvent contraints d’examiner les dossiers de tous les qualifiés ((http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2013/06/21/recrutement-des-maitre-de-conferences-suppression-irreflechie-de-la-procedure-nationale-de-qualification/)).

Ces arguments révèlent à mon sens l’incapacité de bien des collègues français à prendre la mesure des vrais problèmes de l’Université, et leur refus de mettre en place les mesures nécessaires pour combattre le fléau du localisme et du clientélisme. Si la plupart de ses membres prennent leur mission très au sérieux, le CNU n’est pas exempt de dysfonctionnements et n’est certainement pas au-dessus de tout soupçon.

Peut-être me faut-il préciser “d’où je parle” avant de poursuivre.

Après l’obtention d’un doctorat français et de la précieuse qualification délivrée en l’occurrence par les sections 11 ((Langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes)) et 22 ((Histoire et civilisations : histoire des mondes modernes, histoire du monde contemporain ; de l’art ; de la musique)) du CNU, j’ai eu l’insigne privilège de participer à une campagne de recrutement en France. Je me suis donc traîné, d’audition en audition, avec souvent la même quinzaine de candidats malheureux, avant de retrouver les rangs du précariat universitaire. J’eus cependant la chance d’obtenir la même année un poste permanent dans une université britannique. Voilà plus de dix ans que j’exerce à l’étranger où j’ai encore récemment connu les affres des recrutements universitaires au sein de comités de sélection et comme candidat.

Je ne prétendrai évidemment pas que le système de recrutement idéal existe. Le clientélisme et la corruption touchent, à des degrés divers, la plupart des systèmes universitaires. Mais, en la matière, la France a beaucoup à apprendre des expériences britanniques et américaines où l’accès aux emplois universitaires est plus cohérent, plus équitable, plus transparent;  où il répond mieux – en définitive – aux exigences du service public.

Se féliciter de la suppression possible de la qualification ne revient pas à accepter que le doctorat seul atteste des compétences professionnelles d’un(e) candidat(e). L’affirmer est aussi idiot que malhonnête.

L’idée selon laquelle les comités de sélection ne sont pas en mesure de procéder à une évaluation rigoureuse et collégiale d’un grand nombre de dossiers ne tient pas debout. Le nombre de dossiers à étudier ne dépend pas seulement de la qualification ((http://coulmont.com/blog/2013/03/01/evaporation/)) et le CNU ne demande rien de plus (au contraire!) que ce qui devrait être exigé par les comités de sélection ((cf. note d’information)).

Outre-manche, il n’est pas rare qu’un département britannique reçoivent plus d’une centaine de dossiers de candidatures pour un seul poste en histoire contemporaine. Ces dossiers comportent en général une lettre de motivation présentant le candidat et ses profils scientifiques et pédagogiques en termes généraux; un CV détaillé incluant la liste des enseignements et des publications; un projet de recherche et; parfois, la maquette sommaire des enseignements que pourrait assurer le candidat.

Les candidats auditionnés sont présélectionnés au cours d’une séance ouverte à tous les enseignants-chercheurs titulaires du département. La long list est dressée en fonction de l’adéquation des profils aux besoins pédagogiques et scientifiques du département; en fonction, aussi, de la qualité des travaux et du niveau d’expérience du candidat.

Une short list est ensuite constituée à l’issue d’une autre réunion, où les travaux des premiers candidats pressentis sont discutés et évalués après lecture par les spécialistes du département. Les lettres de recommandation reçues par le département sont aussi prises en considération à ce stade.

Le nombre des auditionnés est limité entre 3 et 6. Le travail de pré-sélection opéré en amont permet donc d’offrir aux candidats le temps nécessaire à l’exposition de leurs projets scientifiques et pédagogiques lors d’une première audition (40mn environ par candidat), ouverte à tout le département et parfois à quelques étudiants. Un vote informel permet d’apprécier l’opinion générale après le premier passage des auditionnés.

Le comité de sélection (5-6 personnes) prend la décision finale à l’issue d’un deuxième entretien où le candidat est invité à évoquer ses expériences pédagogiques, administratives, et ses priorités futures. Cet entretien se déroule à huis-clos.

Une nouvelle fois, il ne s’agit pas de prétendre que ce système est parfait. J’ai participé, comme d’autres, à des commissions réglées d’avance, où les profils de poste n’étaient pas respectés, où des collègues n’hésitèrent pas à déformer le contenu de lettres de recommandation ou à attaquer sans fondement les travaux d’un jeune chercheur jugé trop brillant. De tels problèmes sont cependant rares. Les DRH des universités veillent au respect de la législation (ce qui n’est pas toujours le cas en France) et surtout, la communauté universitaire dans son ensemble est profondément attachée au respect de règles considérées comme consubstantielles à l’exercice collégial de notre métier.

Car le véritable problème ici n’est pas institutionnel ou juridique; il procède de l’incapacité de la communauté universitaire française dans son ensemble à définir et à faire appliquer des critères de recrutement clairs et transparents. Les pourfendeurs de l’amendement écologiste crient déjà à l’atteinte à la Constitution. Je préfèrerais les voir, plus modestement, en appeler systématiquement au juge administratif pour que les recrutements scandaleux soient cassés. Leur attachement au formalisme institutionnel n’a que rarement son pendant lorsqu’il s’agit de dénoncer les injustices et irrégularités commises par ses chers collègues devant un tribunal.

La qualification n’a jamais empêché le localisme et le clientélisme et n’a jamais offert aux recrutements universitaires la légitimité intellectuelle et professionnelle dont ils ont tant besoin.

Le maintien d’instances professionnelles nationales est évidemment essentiel à la sauvegarde d’un service public national, mais il ne faut pas confondre statut et service public. Les juristes le savent mieux que moi.

Affirmer que “sauver la qualification des enseignants-chercheurs, sauver le CNU sont aujourd’hui un acte de résistance vital à la préservation du Service public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.” ((http://blogs.mediapart.fr/blog/pascal-maillard/240613/petition-nationale-contre-la-suppression-de-la-qualification-des-enseignants-chercheurs)) n’a pas de sens.

Dans leurs formes actuelles, les concours de recrutement ne garantissent pas l’égal accès aux emplois publics. Vues les conditions dans lesquelles les comités de sélection opèrent aujourd’hui (et opéraient d’ailleurs avant la LRU), parler de concours même est une injure faite à la République. Ni le maintien, ni la suppression de la qualification ne règlera le problème central: celui d’une communauté professionnelle incapable de définir et de faire respecter des principes déontologiques simples mais essentiels, transparents et cohérents.

Mise à jour, 26 juin 2013: Pour une tentative d’évaluation du localisme à l’université, voir le dossier publié en 2008 par la Vie des Idées articulées autour des travaux et propositions d’Olivier Godechot et Alexandra Louvet: Le localisme universitaire.

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