La démocratie se meurt d’euphémismes. A l’heure où Christchurch, la Nouvelle-Zélande, et le monde pleurent de nouvelles victimes musulmanes du terrorisme, la compassion hypocrite de l’extrême-droite française s’affiche sur les réseaux sociaux. Il est donc grand temps – si ce n’est déjà trop tard – de souligner le rôle central que joue cette droite dite identitaire dans les déchaînements de violence qui se multiplient au sein de nos sociétés libérales. L’épithète identitaire masque en effet bien mal le caractère fondamentalement raciste et violent de cette droite anti-démocratique. Les prétentions littéraires et philosophiques de ses nouveaux hérauts que la presse conservatrice – Le Figaro en tête – aime à célébrer, ne sauraient nous abuser ; leurs idées doivent être combattues pour ce qu’elles sont. Sous couvert d’angoisses civilisationnelles et identitaires, ils portent en effet un programme et une méthode politiques dont la France comme le monde ont déjà trop souffert au cours du vingtième siècle. 

Robert Ménard et son épouse, chantres de l’extrême-droite française, en mars 1917
Crédits: Philippe Dobrowska

Qui en doute encore pourra se reporter au titre du manifeste de 74 pages rédigé par Brenton Tarrant, le meurtrier présumé de Christchurch. C’est en effet au nom de la lutte contre « le grand remplacement », le fantasme d’une substitution d’une immigration musulmane aux populations chrétiennes de l’Europe, que le terroriste a abattu 49 personnes de sang-froid. Systématisé par Renaud Camus, promu par Robert Ménard aux frais du contribuable biterrois, popularisé par Eric Zemmour à la faveur de grandes lâchetés médiatiques, le « grand remplacement » est le dernier avatar de vieilles haines bien françaises. Elles tuent, aujourd’hui encore, comme elles le firent bien souvent depuis la fin du dix-neuvième siècle. 

Renaud Camus n’a en effet rien inventé. Que distingue en effet le discours sur « le grand remplacement », sur la disparition des « français de souche », ou sur le « génocide des blancs », d’un pamphlet nationaliste et antisémite comme la France aux Françaispublié en 1892 par Edouard Marchand ? Bien peu si ce n’est la réticence de trop nombreux commentateurs et intellectuels à dénoncer ces idéologues pour ce qu’ils sont : une menace permanente pour la démocratie et la paix civile

Ce n’est en effet pas faire trop crédit aux héritier de Maurras et de Darquier de Pellepoix que de souligner la place centrale que joue la pensée française au sein de l’« Alt-right » globale. L’écrivain Ian Allen rappelaient l’été dernier dans les colonnes du New York Timesle succès continu de Jean Raspail auprès des suprématistes blancs et des néo-nazis américains. Ne dénonçaient-ils pas eux aussi, dans les rues de Charlottesville en août 2017, ce « grand remplacement » lors d’un rassemblement célébrant la mémoire confédérée ? Sur les images filmées alors par Vice, ces fervents partisans de la ségrégation raciale chantaient  aussi : « les juifs ne nous remplaceront pas ». Ce jour-là, James A. Fields Jr fonça sur une contre-manifestation au volant de sa voiture, tuant une militante antiraciste, Heather Heyer, et blessant plus de 35 autres personnes. Lui avait fait le chemin depuis l’Ohio pour participer à cette manifestation officiellement dédiée à l’union des droites ; à la célébration de cette droite qu’on dit en France « hors les murs ». Il est bien des euphémismes meurtriers. 

Il importe de souligner que cette droite obsédée par la question migratoire demeure, aujourd’hui comme hier, profondément antijuive. Les travaux de Nonna Mayer nous rappellent que la nécessaire dénonciation des formes nouvelles d’antisémitisme ne doit pas occulter le rôle qu’occupe la haine antijuive traditionnelle dans la pensée identitaire. De même, faut-il rappeler que cette idéologie raciste puise dans l’imaginaire comme dans les pratiques de la France coloniale. On ne peut défendre la démocratie et combattre le terrorisme d’extrême droite sans affronter l’idéologie raciste comme la violence qui fut consubstantielle à l’impérialisme européen. Le révisionnisme des nostalgiques de l’Algérie Française et leur volonté d’occulter le caractère terroriste de l’OAS prend ici tout son sens. 

Ce combat est, à l’évidence, de première urgence. Il exige de dénoncer celles et ceux qui nourrissent le terreau de cette violence. En France, des publications comme Valeurs Actuelleset une grande partie de la presse conservatrice, en sont aujourd’hui les complices. Nombreux sont aussi celles et ceux qui, parés de leur aura ternie d’intellectuels déclinants, se font les idiots utiles et consentants de cette internationale de la haine. En assimilant la République et la laïcité au rejet de l’Islam – au mépris de notre histoire, de la logique, comme de la morale – ils suppléent le combat culturel de cette droite radicale et raciste. Quand des micros avides se tendront à nouveau vers ces prédicateurs d’une « haine bien de chez nous », espérons que sera posée la question de leur responsabilité dans les meurtres commis en notre nom.